Interview de Marie Giroud
C’était comment l’Acsel quand tu l’as rejoint ?
J’ai rejoint l’Acsel en 1996, le Minitel était à son apogée. D’ailleurs l’Acsel s’appelait encore l’AFTEL (Association Française de la Télématique).
A cette époque, le kiosque générait des revenus (pour ceux qui ignorent ce qu’était le kiosque voici le lien Wikipédia) et cela a créé une nouvelle industrie pour une nouvelle catégorie d’acteurs avec les éditeurs de services, les centre serveurs, les prestataires, les agences de com. Les banques et les commerçants étaient déjà présents et membres de l’Association. Je me souviens des réunions entre associations et opérateurs sur par exemple comment gérer l’annuaire du 36.15 avec les marques qui se nommaient AAA ou 111 pour apparaître en haut de la page de recherche. On avait un enjeu de négocier la chaîne de valeur entre les opérateurs et les autres acteurs de l'écosystème.
Comment avez-vous anticipé la fin du Minitel ? C’est un énorme changement non ?
En fait, on a vu venir assez tôt l’Internet, en tous cas depuis la vision qu’on pouvait en avoir en France. On a publié dès 1995 le livre L’Internet, un enjeu pour la France. Cette perspective effrayait un peu certains acteurs qui étaient bien assis sur le modèle économique du Kiosque, certains ont même qualifié l‘Acsel de « fossoyeur du Minitel ». Nos adhérents, les acteurs du paiement, les marchands, les éditeurs et les prestataires se sont adaptés. Même si Google est né en 1998 cela prend du temps avant la généralisation.
Et après le Minitel, c’était quoi les grosses évolutions avec l’Internet ?
En termes de communication, c'est tout d’abord l’arrivée de l’email et puis quelques années plus tard celle des réseaux sociaux qui ont radicalement changé les interactions avec les adhérents et la façon de communiquer. L'information arrive très vite, de façon personnalisée.
Et puis Internet a aussi bousculé le commerce. D'ailleurs en mars 2000, l’AFTEL devient l’ACSEL (Association pour le Commerce et les Services en Ligne) sous la présidence d'Henri de Maublanc fondateur d’Aquarelle. Dès 2001 on a publié le premier baromètre e-commerce. L’idée était de montrer la part et la progression des achats en ligne par rapport au commerce physique. On a réuni une vingtaine de emarchands et on a consolidé les données avec Pricewaterhouse…. Je m'occupais aussi des RP et je me souviens des journalistes «tech » de l’époque à Libération ou France Inter qui nous considéraient comme les papis du Minitel. Ils ne répondaient pas du tout au début à nos communiqués de presse avant que ce baromètre e-commerce ne devienne très repris et une référence. Là, c'est la VAD qui s’est sentie menacée.
Et enfin, autre bouleversement, le mobile. Aujourd'hui on a du mal à imaginer comment ça pouvait être avant. Et je ne parle ici que du mobile, l'arrivée du smartphone en 2007 fut une seconde révolution et déjà à l'époque, à peine l'e-commerce commençait-il à prendre du poids dans l'économie que nous avions de nombreux échanges sur l'essort du m-commerce....
Comment avez-vous réussi à gérer tous ces nouveaux défis : la logistique, la fraude, ou même l’adaptation au mobile ? Ça devait être un sacré casse-tête à l’époque, non ?
Dans ces années, côté e-commerce, c’est la période des négociations du coût des retours logistiques avec la Poste, de la lutte contre la fraude, des inquiétudes sur le parcours client hétérogène du 3DS, des enjeux du commerce international.
En 2008 l’ACSEL publie L’Europe une opportunité pour le commerce puis en 2015 L’e-commerce transfrontière préfacé par Michel Barnier alors Commissaire européen, en charge du marché européen et des services.
Ok je vois… mais je me posais une question : en tant que précurseur, comment l’Acsel pouvait mener une veille efficace sur tous ces sujets qui pour le coup étaient en pleine évolution ?
La meilleure façon était d’aller là où ça se passe, aux Etats Unis et bien sûr dans la Silicon Valley. Nous avon donc lancé les missions d'étude de l'Acsel. Certaines années à un rythme de 2 voyages par an à New-York et en Californie.
On a été accueilli chez Facebook à ses tous débuts dans ses locaux qui étaient exigus dans lesquels on a reçu Waze qui démarrait à peine, Wikipédia etc. On est allés sur les campus de Google, de Microsoft… Au fil des ans, on mesurait l’ancienneté des sociétés à la luxuriance de la végétation des campus… Lors de la dernière visite chez Facebook il fallait un agent de sécurité pour aller aux toilettes… signe que les temps avaient changé. Il y aurait tant à dire sur ces missions d’études. C’était un énorme chantier de monter une semaine de conférence entière depuis Paris, mais c’était à l’époque irremplaçable pour mesurer les tendances et aussi nouer des partenariats. Jean-Michel Billaut était à la manœuvre et nous dénichait les pépites d’aujourd'hui. On a tous une pensée pour lui qui vient de nous quitter. C’était aussi des amitiés et des moments inoubliables.
Et puis les crises financières et les informations qui traversent très vite l'Atlantique ont eu raison de ces missions d'étude.
Tu as parlé du commerce mais aussi des paiements qui ont été bousculés par Internet, d'ailleurs c’est encore un sujet fort à l’Acsel
Oui tout à fait, le paiement, les transactions sont les éléments clés au cœur des modèles économiques et sont depuis le début dans l’ADN de l’Acsel.
L’Acsel avait une commission paiement dès le milieu des années 2000 qui est devenue en 2011 sous l'impulsion de Laurent Nizri le Payment & Fintech Club que l'on connaît aujourd'hui et qui a intégré les nouveaux acteurs des paiements et de la finance à l’Acsel.
Ces nouveaux entrants sont venus bousculer les acteurs historiques. L’Acsel a publié en 2013 Paiement : effusion, profusion, confusion, le titre parle de lui-même. Toute nouvelle technologie se fait au début par la pression de l’offre…
Ce sont des changements assez incroyables, les entreprises se sont elles adaptées rapidement ?
Aujourd'hui, Internet est partout… L’Acsel est devenue l'association de l’économie numérique en 2008. Je pense qu'il n’est pas nécessaire de décrire le changement radical dans les habitudes de vie au quotidien, au travail. La digitalisation a été à la fois très rapide mais aussi très longue à être intégrée dans les process métiers. Les startups sont le côté émergé de l’iceberg. Les enjeux d’adoption dans les entreprises, par les publics éloignés restent cruciaux et prennent du temps.
Et là, avec l'IA générative, tu penses que les entreprises vont vite l’adopter, surtout dans des secteurs comme la santé ?
La dernière secousse c’est bien sur l’IA et l’IA générative, mais là la page est encore ouverte…. Les promesses sont immenses.
Les enjeux d’adoption sont de nouveau les leviers nécessaires dans tous les domaines, notamment dans la santé où notre prochain baromètre sur l'IA en santé va mesurer les freins et les leviers à l'adoption auprès des professionnels de santé. Ça va être passionnant à suivre….
Et la confiance dans tout ça ?
La confiance est toujours le fil rouge de toutes ces années. La confiance a toujours été au cœur de la réussite de la digitalisation et un thème central à l’Acsel. Pour preuve, s’il en fallait, le Baromètre de la confiance des Français dans le numérique lancé par l'Acsel en 2009 publiera le 10 avril prochain sa 12ème édition.
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