Qui va gagner la guerre des cryptomonnaies ? Par Jerome Ajdenbaum

Bonjour, vous venez de publier « Qui va gagner la guerre des cryptomonnaies ? », tout le monde parle de cryptomonnaies et de blockchain en ce moment, pourquoi est-ce si important ?

 

Nous vivons une petite révolution qui va impacter l’économie numérique et bien plus. Ce qu’il est essentiel de comprendre, et qui est la thèse centrale de ce livre, c’est l’éthos des différents intervenants. 

Rappelons les faits. En 2009, le mystérieux Satoshi Nakamoto invente Bitcoin. C’est une innovation technologique majeure, entre autres avec l’invention de la blockchain, mais c’est avant tout la réalisation d’un programme politique : dans le premier bloc, Satoshi enfouit un message critiquant le sauvetage des banques car on est alors en plein dans la crise financière. Dans ce cadre de défiance générale envers les élites, il crée une monnaie indépendante de toute autorité. Personne ne contrôle Bitcoin, personne ne peut l’arrêter, c’est véritablement la première fois qu’on voit se créer une monnaie sans banque centrale, sans autorité.

 

Mais est-ce vraiment une monnaie ? Personne ne paie sa baguette avec des bitcoins…

 

Treize ans plus tard, force est de constater que Bitcoin est toujours là, qu’il continue à battre des records de valorisation et que plus de 221 millions de personnes l’utilisent pour spéculer sur sa valeur. Mais vous avez raison, personne ne l’utilise comme moyen de paiement. Sa valeur est trop instable pour cela, le sous-gouverneur de la banque d’Angleterre rappelait qu’il avait baissé de plus de 10% au cours d’une journée à 30 reprises ces cinq dernières années, et même une fois de 40% ! 

C’est pourquoi des entreprises privées ont compris l’opportunité et ont lancé des stablecoins, des cryptomonnaies stabilisant leur cours de diverses façons. La plus connue est bien sûr le Diem de Facebook. Ces monnaies privées ont un éthos complètement différent de celui de Bitcoin et qui fait hurler d’horreur la communauté fidèle à l’idéal initial. Jack Dorsey, le médiatique PDG de Twitter et de Square, a par exemple déclaré qu’il ne rejoindrait jamais Diem (« Hell no ! »), que Diem n’était pas compatible avec « ce en quoi (il) croyait personnellement. » Il motivait ainsi son refus non pas par des raisons économiques ou stratégiques, mais par son éthos personnel. 

 

La communauté Bitcoin n’a pas été la seule à accueillir froidement le « dollar de Zuckerberg », les politiques de tous les pays ont été assez unanimes dans leur hostilité.

 

En effet, la réaction a été extrêmement violente partout dans le monde pour deux raisons principales. Tout d’abord la mauvaise image que Facebook avait acquise et les reproches qui lui étaient adressés sur son impact supposé dans l’élection de Donald Trump et sur sa gestion de la vie privée. Zuckerberg reconnut lui-même : « Je comprends que nous ne sommes pas les messagers idéaux pour le moment.» Mais au-delà de ça, il s’était passé quelque chose d’entièrement nouveau : une société privée, un GAFA dont la puissance commençait à vraiment faire peur aux états, venait de décider de battre monnaie, ce qui était jusque-là le privilège des seuls états souverains. Une ligne rouge venait d’être franchie.

 

Et c’est pourquoi ils vont lancer leurs propres monnaies numériques…

 

Les états et les banques centrales ont pris ce tir de semonce très au sérieux. Ils vont alors répondre sur deux fronts. De manière défensive, ils vont mettre en place un arsenal règlementaire pour encadrer les initiatives privées. Mais en parallèle, ils vont répondre à Diem mais aussi à Bitcoin, en lançant des programmes ambitieux de numérisation de leur monnaie : les monnaies numériques de banque centrale (MNBC). La Chine est très en avance dans ce domaine et après de vastes pilotes devrait lancer sont yuan numérique dès le début de l’année prochaine. L’Europe et le Royaume-Uni sont moins avancés mais ont néanmoins lancé des projets tandis qu’on attend toujours une décision de la Réserve Fédérale américaine. J’explique également dans le livre que la Chine a peut-être d’autres objectifs beaucoup plus politiques avec le lancement du e-yuan : mise au pas des trublions du paiement chinois, Alipay et WeChat Pay, remise en cause de l’hégémonie du dollar dans le commerce international, etc. 

Avec les MNBC, on voit donc la monnaie publique entrer dans la guerre des cryptomonnaies face aux monnaies sans autorité et aux monnaies privées.

 

Alors quelles sont les nouvelles du front ? Qui va gagner la guerre des cryptomonnaies ?

 

Bitcoin, on l’a vu n’est toujours pas utilisé comme monnaie et il est trop tôt pour dire si l’expérience du Salvador, qui l’a adopté comme monnaie officielle, sera un succès ou non. Le soutien inconditionnel d’acteurs importants comme la fintech Square pourrait également faire évoluer les choses, mais ça reste encore aujourd’hui une hypothèse lointaine. Quant à la concurrence entre le yuan et le dollar, ou plutôt entre leurs avatars digitaux, cela ressemble plutôt à une guerre froide : les chinois nient toute visée hégémonique de leur e-yuan, tandis que les autorités américaines ne voient pas en quoi une version digitale du yuan permettrait de rebattre les cartes, ce en quoi elles ont peut-être tort.

La principale zone de tension est donc entre monnaies publiques et privées au premier rang desquelles Diem. A cause des obstacles réglementaires, il a dû revoir ses ambitions à la baisse, passant d’un stablecoin global à une série de stablecoins locaux adossés aux monnaies nationales, puis à un seul stablecoin en dollars. Les autorités, européens en tête, mettent en garde contre les risques hégémoniques et pour la vie privée d’une telle option et le projet MiCA du parlement européen va complètement dans cette direction. 

Reste qu’on assiste également à des ouvertures des deux côtés : Diem propose d’intégrer les MNBC dans son dispositif dès qu’elles seront disponibles tandis que certains membres du Board de la Réserve Fédérale américaine proposent d’ouvrir aux stablecoins l’accès aux réserves de banque centrale, comme des banques, ce qui reviendrait de facto à confier la monnaie numérique au secteur privé.

 

Et après ? Quelles vont être les principales tendances de ces prochaines années ?

 

On devrait assister à un déluge d’applications utilisant les nouveaux rails offerts par les monnaies numériques publiques et privées. On peut comparer cette situation avec les télécoms où appeler à l’international coûtait une petite fortune sur les réseaux traditionnels et est devenu gratuit, rapide et facile avec les nouvelles apps. 

Mais la grande tendance qui devrait révolutionner la finance ces dix prochaines années est la décentralisation. La DeFi (Decentralized Finance) que j’appelle dans le livre « l’extension du domaine du Bitcoin » vise à supprimer les intermédiaires dans tous les domaines financiers : placements, emprunts, titres, assurance, gestion de portefeuille, etc. Le secteur est encore jeune – il est vrai – et fait parfois penser au Far West mais il croît de façon exponentielle avec déjà plus de 100 milliards de dollars utilisés. Il attire même des acteurs traditionnels à l’image de la Société Générale qui vient de réaliser une opération de refinancement de titres sur le protocole MakerDAO.

Les années 2010 ont auront été les années de la révolution fintech, la révolution des années 2020 pourrait bien être celle de la finance décentralisée.

 

 

 

« Qui va gagner la guerre des cryptomonnaies ? », de Jerome Ajdenbaum